21 Mars 1998

Gratte-ciel : toujours plus haut !

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Depuis plus d'un siècle, les pointes des gratte-ciel chatouillent les nuages. De Rio à Hong Kong en passant par New York et Chicago, ces grands échalas de béton et d'acier ont conquis le cœur des plus grandes villes. Et déjà les architectes nippons planchent sur des immeubles hauts de plusieurs kilomètres. Une aventure à donner le vertige.

Le Flatiron Building (un gratte ciel de New York construit en 1903)

En 1871, les pompiers de Chicago sont dépassés, la ville brûle quartier après quartier. Plus de la moitié de la deuxième ville des Etats Unis part en fumée. En quelques jours, la grande cité de la rive sud du lac du Michigan disparaît sous la cendre. Et c'est ainsi que commence l'histoire des gratte-ciel, dans la chaleur d'un gigantesque incendie. Ce cauchemar pour les 300 000 habitants est une véritable aubaine pour les architectes : il faut reconstruire une ville entière, repartir de zéro. Et pourquoi pas voir haut, très haut ?

William Le Baron Jenney est le premier à retrousser ses manches et à crayonner ses planches. En 1884, cet ingénieur architecte ose la hauteur. Il signe le premier véritable gratte-ciel : le Home Insurance Building, un immeuble de 10 étages ossature métallique. Une grande première, ni pierre, ni bois, le squelette de l'édifice est en acier, un tout nouveau matériau sorti tout droit des laminoirs américains : il est à la fois léger et résistant. C'est un alliage fait de fer et de carbone qui permet de nouvelles audaces architecturales. Pour monter plus haut, il suffit d'augmenter légèrement la largeur de la base de l'édifice. Un peu comme si on empilait des cubes. Le rapport limite étant, à l'époque, de 1 m de large pour 5 m de haut (aujourd'hui, il est de 1 pour 10 grâce au progrès technique).

La course à la hauteur est lancée. Les architectes ont soif d'altitude, les promoteurs sont gonflés de dollars. Banques, compagnies d'assurances, grands journaux, grands magasins, tous cherchent à épater la galerie en installant leurs bureaux dans des immeubles flambant neuf et surtout le plus élevé possible. Dans cette compétition, deux villes tiennent le haut du pavé : New York et Chicago. Les deux villes vont se livrer un combat sans merci car la hauteur des immeubles d'une ville représente la puissance, le pouvoir, et surtout prouve qu'ils ont beaucoup d'argent. En 1888, c'est New York qui passe en tête. Leroy Buffington dessine une tour de bureaux de 28 étages. A l'époque, en baptisant son œuvre "gratte nuage", Buffington passe pour un fou ! Trois ans plus tard, le Daily News de Boston consacre à jamais le sobriquet "gratte ciel" pour désigner ces mastodontes. Quatre ans plus tard, le Masonic Temple de Chicago reprend le flambeau. En 1892, les architectes Burham et Root hissent cet édifice sur la plus haute marche du podium. Le lauréat, dont la coiffe frise les 100 m de haut, sera le premier immeuble consacré "le plus haut du monde". L'imposant américain est pourtant loin de faire de l'ombre à notre Tour Eiffel nationale. Notre Belle, qui affiche alors trois ans au compteur, roule des mécaniques avec ses 312 m sous la toise. Mais la grande parisienne reste une simple tour de ferraille aux yeux des architectes. Hélas pour Chicago, après la construction du Masonic Temple, le conseil municipal prend peur, il était temps ! Est-ce bien raisonnable d'aller toujours plus haut et si vite ? En 1893, le maire en a par-dessus la tête et décide de calmer le jeu. Il plafonne la hauteur des immeubles de sa ville à une quarantaine de mètres... A New York, aucune loi ne vient ni limiter la masse ni la taille des buildings. Les gratte-ciel y poussent comme des asperges. Les rues se transforment en canyons de béton et de verre. Ainsi, en 1909, à Manhattan, le Singer Building pousse le chant de la victoire : 187 m de haut, soit 50 m de plus que la grande pyramide de Khéops. La même année, la Metropolitan Life Tower émerge à 214 m. En 1913, le Woolworth Building joue les vedettes sur Broadway en imposant ses 241,50 m. Ce gratte-ciel superbe, dont les ornements rappellent ceux d'une église gothique, sera surnommé "cathédrale du commerce".

Le Chrysler Building est le premier vrai géant à sortir de terre. En 1930, ce gratte-ciel détrône enfin la tour Eiffel et enfile le maillot du champion du monde de la hauteur : 319 m et 77 étages. Sur l'île de Manhattan, le Chrysler Building affiche haut et fort la puissance de la marque automobile dont il porte le nom. Au sommet du monstre, une flèche de 27 tonnes d'acier inoxydable, un amoncellement d'écailles métalliques de plus en plus petites vers la pointe, mimant un empilement d'enjoliveurs... Huit gargouilles, huit énormes têtes d'aigle à l'image de celle qui orne les capots des voitures du constructeur automobile, s'avancent aux angles de l'édifice. Le Chrysler Building est majestueux.

Le Chrysler Building (en 1930) qui est le premier a dépasser la tour Eiffel (de 7 m)
L'Empire State Building

Mais sa gloire est éphémère. A peine quatre mois après, l'Empire State Building lui impose le respect avec ses 381 m. Planifiée à la minute près, sa construction relève du défi. Pour ne pas gêner la vie du quartier d'affaires, les livraisons de matériaux (60 000 tonnes d'acier, 10 millions de briques et 7 000 m3 de pierre) s'effectuent la nuit. Parfois, au rythme effréné de quatre étages et demi par semaine, les travaux sont achevés en un peu plus de treize mois. Résultat : une montagne de 102 étages, desservie par 67 ascenseurs ! Le 1 mai 1931, le jour de son inauguration, l'Empire State Building peut accueillir dans son ventre 25 000 personnes, plus du double du chrysler Building. "Le Monarque" régnera sans partage sur les cimes urbaines pendant quarante deux ans.

En 1972 puis en 1973, une paire de jumelles en met plein la vue au "big papy" de New York. Plantées devant la statue de la Liberté, les deux tours géantes du sud de Manhattan (le fameux World Trade Center) pulvérisent le vieux record. L'une parade à 417 m, l'autre à 415 m. A peine un an plus tard, Chicago, vexée, reprend la première place. Avec 110 étages, la Sears Tower gagne trois petits étages sur les jeunes new-yorkaises et hisse la barre à 443 m de hauteur. Décidément, ils construiront toujours plus haut, la soif de pouvoir, on reconnaît bien là les Américains Mais cette année là, deux sœurs siamoises (une passerelle les reliant) devraient ravir à la Sears Tower de Chicago le titre de plus haut gratte-ciel du monde. Non pas aux Etats-Unis mais en Malaisie ! Dans la capitale, Kuala Lumpur, les Petronas Toxer I et II se dressent en chœur à 450 m de hauteur. Une poignée d'architectes japonais à l'imagination débridée ont, dans leur cartable, des projets déments. Alors que le plus haut gratte-ciel de l'archipel, le Landmark Tower, pointe timidement le bout de son nez à 296 m, les ingénieurs rêvent des tours de plusieurs kilomètres de haut...

Shimizi Corporation propose Mega-City-Pyramid TRY 2004. Rien que ça ! Vous l'aviez compris, il s'agit d'une pyramide de 2004 m de haut. Pas un grain de riz de moins. TRY 2004 n'aurait de ses illustres ancêtres égyptiens que le profil et le nom. Pour le reste, nous sommes loin d'un monceau de blocs de pierre. Primo, la charpente, une carcasse pyramidale, est constituée de mégapiliers en fibres de carbone et fibres de verres, des tubes horizontaux (350 m de long) et des tubes diagonaux de même longueur, tous servant au transport des habitants. Secundo à l'intérieur de cette grosse cage, des tours de 100 étages. Au total, presque 1 million de personnes pourraient y vivre et y travailler.

A peine 3 m plus bas, c'est Aeropolis, d'Hazama corporation. Une splendide fusée de verre et d'acier de 2001 m de haut. ce gratte-ciel élancé hébergeant 300 000 salariés le jour et 140 000 dormeurs la nuit, aurait des

Le TRY 2004 : des bulles de crystal de 50 m de diamètre y recevraient la lumière pour la diffuser dans l'édifice par fibres optiques

ascenseurs magnétiques qui stopperaient tous les 160 m afin que les passagers s'habituent à l'altitude. Le plus fou de ces projets a pour nom X-Seed 4000, une structure conique titanesque de 4000 m de haut. Surprise : cette doublure architecturale du mont Fuji-Yama, le plus haut pic nippon (3 776 m), ne serait pas construite sur la terre ferme, mais ... sur l'eau ! Posé sur un gros matelas de caissons insubmersibles amarrés au fond grâce à des câbles, l'immeuble mammouth, lourd de plusieurs centaine de millions de tonnes, pourrait décrocher avant le passage d'un typhon afin d'attendre sur des eaux tranquilles.

Le géant nippon serait une véritable tour-ville capable d'assurer seule sa subsistance. Dans la partie supérieure de l'édifice, au-dessus de 2000 m, des centrales électriques carburants à l'énergie éolienne et solaire fourniraient de l'électricité aux 500 à 700 000 résidents (la population de Toulouse). Pendant que les fermes marines assureraient le poisson quotidien, les enfants gambaderaient dans des forêts synthétiques ! Taisei Corporation, le concepteur de ce projet, estime raisonnable d'étaler sur trente ans la construction de son gratte-ciel flottant. Faute de crédits à la hauteur des projets, aucun de ces formidables mais monstrueux gratte-ciel ne verra sans doute le jour avant le milieu du prochain siècle. Mais ça n'empêche pas de rêver. Dans le Cinquième Elément, un film du célèbre réalisateur français Luc Besson, il y a des "blocs" de plusieurs kilomètres de hauteur ! Mais ce sera pour plus tard...

 

le Caméléon

 

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